par Marc Strauss
À sa lecture, l’intitulé de notre thème annuel répond à une question implicite. Il faut le lire en effet pour constater que l’identité y est singulière alors que plurielles y sont les identifications.
D’où la véritable question : comment se soutient une telle affirmation ? Qu’est ce qui non seulement distingue les identifications de l’identité, mais nous permet, à défaut de l’affirmer, de supposer une identité unique ? Nous aurons certes à préciser comment nous concevons les identifications, mais leur polyvalence est un fait qui s’impose, d’abord chez nous-mêmes, par le malaise que leurs contradictions suscite ! Mais l’identité… Un os…
Elle résiste à être saisie ; aucune ne convient de façon satisfaisante. D’ailleurs, est-ce elle qui résiste ou est-ce nous qui reculons, quand d’aventure elle s’offre à nous ? Question en impasse dont le sujet peut sortir grâce à une analyse, s’il y reconnait sa façon de donner « forme épique à la structure »(1). En effet, s’imaginer ne pas y arriver permet de s’illusionner sur le fait bien réel qu’une identité dernière est fondamentalement impossible à saisir.
Certes, mais elle est pourtant bien là, cette insaisissable identité, qui nous fait chacun à nul autre pareil. Où diable se cache-t-elle, et surtout comment la débusquer, pour en faire appui, voire nous autoriser de nous-mêmes ?
Certains fondent leur position sur la promesse qu’à les suivre, tous trouveront leur identité. Tous ceux en tout cas qui suivront leurs préceptes ; les autres seront tout simplement exclus. Logique du Discours du Maître, dont Lacan a proposé l’écriture en mathèmes et dont on peut suivre les avatars dans l’Histoire. Freud a permis de reconnaître la forme spécifiée de leur malaise, intrinsèque à la civilisation. Et puisque le discours du Maître est aussi celui de l’inconscient, sa forme actualisée dans l’hystoire d’un sujet est offerte au déchiffrage. Mais le sujet ne sera jamais sûr pour autant de n’être pas lui-même un exclu en puissance, qui peut-être même s’ignorerait. D’autant que ses fautes, qui justifieraient une telle exclusion, ne manquent pas… Faillite des identifications programmée dans le discours même qui les constitue, quel chaudron ! Lacan a souligné(2) comment Freud(3) de ce mot d’esprit a dénoué l’angoissant paradoxe, pour en révéler les ressorts comiques.
L’hystérique, qui ne peut s’y faire, dénonce le Discours du Maître comme un peu court, car il ne dit pas ce qui fait chacun à nul autre pareil : il n’y a qu’à voir comment il traite les femmes… L’universitaire à l’inverse le conforte, en lui conférant la légitimité d’un savoir garanti. Le sujet reste sur sa faim, et en fait symptôme.
L’analyste lui permet alors non seulement de dire ce qui ne va pas, en l’hystérisant, mais de préciser ce qui ne va pas pour lui, en propre. Autrement dit, l’analyse permet d’écouter chacun comme à nul autre pareil. Qu’y découvre-t-elle ? Et finalement, quel impact aura cette découverte sur le malaise que génèrent les identifications qui restent inévitables ?
- Lacan Jacques, in Télévision
- Dans le Séminaire, Livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique psychanalytique, Le Seuil, Paris
- Dans L’interprétation des rêves et dans Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient, NRF, coll. Idées, p. 89