N°20 – L’efficace du transfert face aux symptômes

Editorial par Muriel MOSCONI

Quel est l’efficace du transfert face aux symptômes? Voici la question que les enseignants des Collèges de clinique psychanalytique du Champ lacanien de France ont choisi de mettre au travail durant l’année 2019-2020.

« Au commencement de la psychanalyse est le transfert[1] », écrit Lacan dans sa « Proposition d’octobre 67 », et c’est avec un texte du matin de notre civilisation, Le banquet de Platon, qu’il débute son séminaire consacré au transfert.

Il y trouve la métaphore de l’amour par laquelle l’erôménos, l’aimé, le désiré, devient l’erastès, l’aimant, le désirant. Elle marque en quoi le désir est le désir de l’Autre. Socrate s’y refuse, préfigurant, par son impassibilité, l’objet impossible dont l’analyste supporte le semblant dans le transfert.

Ce texte interroge le désir de savoir et il le lie au non-savoir fondamental dont Socrate se réclame, ne sachant, dit-il, que ce qu’est le désir. Lacan corrèle cette nescience au savoir nécessairement troué de l’analyste et à son désir, axe du transfert.

Dans le dialogue Socrate/Alcibiade apparaît l’agalma dans lequel Lacan reconnaît l’objet a incluant le (-ᵠ) de la castration qui fait son éclat.

Et c’est dans la suite de son étude du Banquet que Lacan, pour la première fois, le 3 mai 1961, qualifie la place de l’analyste comme celle où nous sommes supposés savoir. C’est au vide, au rien qu’il se réfère : « Il faut savoir remplir sa place [pour] que le sujet [puisse] y repérer le signifiant manquant. Et donc […] par un paradoxe […], c’est à la place même où nous sommes supposés savoir que nous sommes appelés à être et à n’être rien de plus, rien d’autre que la présence réelle, […] inconsciente. Au dernier terme, […], nous sommes là en tant que ça, ça justement qui se tait[2]. » Retenir ce rien qui se tait permet à l’analyste de soutenir la fonction de semblant d’objet a.

Dans cette Revue, Alexandre Faure et François Terral interrogent cette présence réelle de l’analyste corrélée au silence et mise en tension avec la nécessaire présence des corps, ce qui est différent, lors des entretiens préliminaires.

Lors de sa « Proposition d’octobre 1967[3] », Lacan met en équivalence l’agalma et le sujet supposé savoir dont il donne la formule dans l’algorithme du transfert, mis en couverture de cette Revue.

À l’entrée en analyse, un signifiant du transfert, S, un symptôme, par exemple, se couple avec un signifiant quelconque, Sq, prélevé sur l’analyste, son nom réduit à la minuscule, au nom commun, par exemple. Ainsi la toux de Dora se couple à l’odeur de cigare de Freud par le biais du rêve de l’incendie et de la boîte à bijoux, la « bêtise » de Hans se couple avec le « Professeur qui parle avec le Bon Dieu » lors de leur seule séance, au cours de laquelle Hans rencontre la présence réelle de Freud, et le supplice fantasmé par « L’homme aux rats » se couple à la Psychopathologie de la vie quotidienne qu’il vient de lire.

Du fait de ce couplage signifiant, il est attribué un sujet, s, à la série des signifiants de l’inconscient S1, S2, … Sn, qui constituent le savoir de l’inconscient. Ce sujet, représenté par le signifiant symptomatique du transfert auprès du signifiant quelconque prélevé sur l’analyste, c’est le sujet supposé savoir que l’analysant impute, avec nuance, à l’analyste et qui de fait se trouve en tiers entre les deux partenaires. Par cette opération, le symptôme de clinique devient analytique en incluant l’analyste, c’en est une nouvelle édition revue et corrigée, comme le note Freud, et le savoir inconscient prend valeur de vérité, ce qui participe à l’efficace du transfert.

Jean-Jacques Gorog explore, lui, comment le symptôme entre dans la danse du transfert avec Dora, symptôme mis en forme par l’acting out et le passage à l’acte avant l’entrée en analyse.

Le transfert, nous dit Lacan lors du Séminaire XI[4], est la mise en acte de la réalité de l’inconscient, qui est sexuelle. Ce point est approfondi par Agnès Metton et Colette Soler qui l’extrapolent au réel de l’inconscient corrélé au noyau hors sens du symptôme analytique, jusqu’à l’identification au symptôme de fin de cure.

Cependant, l’efficace du transfert ne va pas sans l’efficace de l’acte de l’analyste, ce sur quoi insistent plusieurs auteurs.

Marie-José Latour étudie, elle, le transfert lors des présentations cliniques qui circule entre patient, clinicien et chœur du public.

La clinique du cas est aussi convoquée avec Aimée, par Michel Formento, Manuela, par Sophie Pinot, le cas Frieda de Margaret Little et une séquence clinique personnelle, par Marie-Thérèse Gournel ainsi que les témoignages littéraires de Ferdinando Camon, par Brigitte Hatat et de Georges Perec, par Anne Castelbou-Branaa.

La crise sanitaire n’a pas permis que la Journée nationale des Collèges de clinique psychanalytique du Champ lacanien se tienne à Aix-en-Provence, comme prévu. Deux demi-journées nationales par visioconférence ont été alors organisées[5], une sur le thème annuel, le 2 mai 2020, dont certains articles de cette Revue sont tirés, une sur la crise actuelle, ses effets dans les cures et dans la civilisation, le 11 avril 2020. Ses exposés et les éléments de ses débats, publiés dans cette Revue, donnent une idée de l’état de la réflexion dans notre champ à ce moment de crise dont toutes les conséquences ne sont pas encore aperçues.

Je vous souhaite une bonne lecture de cette Revue foisonnante d’idées.

Notes

  • [1]. Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 243-259, p. 247.
  • [2]. Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le transfert, Paris, Seuil, 1991, p. 315. Et version inédite Le Séminaire « Le transfert », 1960-1961, Stécriture, séance du 3 mai 1961.
  • [3]. Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », op. cit.
  • [4]. Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973.
  • [5]. Comité d’organisation des deux demi-journées nationales : Martina Blatché, Christophe Charles, Lucile Cognard, Ghislaine Delahaye, Bruno Geneste, Françoise Gorog, Jean-Jacques Gorog, Marie-Thérèse Gournel, Lidia Hualde, Marie-José Latour, Agnès Metton, Jean-Paul Montel, Muriel Mosconi (Responsable des deux demi-journées), Marie-Paule Stephan, Colette Soler, Catherine Talabard, Jacques Tréhot.

Sommaire

I Présentation Éditorial

  • Présentation des Collèges de clinique psychanalytique du Champ lacanien, Jacques ADAM
  • Éditorial, Muriel MOSCONI

II Travaux des collèges cliniques de France et des espaces cliniques associés

Au commencement… Le banquet
  • « Au commencement de la psychanalyse est le transfert », Éliane PAMART
  • Le transfert à l’aune du Banquet, fragments, Muriel MOSCONI
Le transfert, mise en acte de la réalité de l’inconscient, qui est sexuelle
  • L’efficace du transfert et la réalité sexuelle de l’inconscient, Agnès METTON
  • Le transfert, de sa « réalité » à son réel sexuel, Colette SOLER
Efficace
  • L’efficace du transfert face aux symptômes : Réponds, Nadine CORDOVA
  • Efficace ?, Lidia HUALDE
Présence de l’analyste, cure et situations connexes
  • Silences et transfert, Alexandre FAURE
  • L’efficace de la résistance face au transfert, Jean-Claude COSTE
  • Présence du transfert, François TERRAL
  • L’obstacle e(s)t la condition, Marie-José LATOUR
Dynamique du transfert et acte de l’analyste
  • L’efficace du transfert, l’efficace de la psychanalyse, Bernard LAPINALIE
  • Le « truc » analytique, Brigitte HATAT
  • La politique du symptôme : opération symptôme, Dominique TOUCHON FINGERMANN
  • Le maniement du transfert, la responsabilité du psychanalyste, Marie-Paule STÉPHAN
  • Les paradoxes du transfert ou comment le symptôme entre dans la danse, Jean-Jacques GOROG
Clinique, écriture
  • « Je te parle pas à toi », Sophie PINOT
  • À partir d’une critique du contre-transfert, Marie-Thérèse GOURNEL
  • Retour sur l’Aimée, transfert et sinthome, Michel FORMENTO
  • Georges Perec : écrire l’innommable et l’irrévocable, Anne CASTELBOU BRANAA

III Éléments bibliographiques

  • Ouverture, Christophe CHARLES
  • La peste d’Athènes, Muriel MOSCONI
  • Biopolis et inconscient, François MOREL
  • La leçon cambodgienne, Jean-Pierre DRAPIER
  • Fini de rire ?, Marc STRAUSS
  • L’étrange proximité, Jean-Jacques GOROG
  • Quelques réflexions sur le transfert au temps du confinement, Ghislaine DELAHAYE
  • Réel de l’évènement et confinement, Jean-Paul MONTEL
  • Mensonge et vérité, Anita IZCOVICH
  • Transfert d’appel, Jacques TRÉHOT
  • L’urgence principale, Colette SOLER
  • Éléments de la discussion, Muriel MOSCONI

IV Sommaires des numéros antérieurs

V Renseignements pratiques sur les Collèges de clinique psychanalytique du Champ lacanien

VI Les auteurs de la revue