N°15 – Identité et identifications

Editorial par Joël Grabovac

« Parce que c’était lui, parce que c’était moi », la fameuse formule de Montaigne ne se trouve pas dans les premières éditions des Essais. Sur son propre exemplaire Montaigne, en marge, note dans un premier temps : « Parce que c’était lui », puis dans un second temps : « Parce que c’était moi. »

La dialectique, en somme, de la reconnaissance identitaire qui lie le « patron [1]» et la « figure », pour reprendre les termes de Montaigne, passe par les signifiants de l’Autre pour en venir aux signifiants qui me représentent.

« Si c’est un homme », dirait Primo Levi, un homme en qui j’ai foi, la fides latine, alors je peux l’être et aménager l’angoisse de ne pas l’être. Ce qui soutient l’identifiocation dernière, c’est l’identification phallique.

Pourtant, au-delà de tout ce qu’il peut en dire, Montaigne doit faire appel à une « force inexplicable et fatale » pour expliquer cette union.

La psychanalyse a montré que le choix du partenaire reste électif et doit porter les traits distinctifs venus de l’inconscient du sujet, comme l’illustre, par exemple, L’Homme aux loups.

Au-delà des attributs dont le sujet se pare et qui définissent son identité, peut-il répondre au : « Qui suis-je ? ». Autrement dit, où se niche l’être dans le sujet que je suis ? D’Aristote à Heidegger, c’est une interrogation insistante pour le philosophe. Tout autant pour le névrosé, qu’il soit cigale ou fourmi, car s’il « a besoin de persona, c’est que derrière, peut-être, toute forme se dérobe et s’évanouit [2] ».

La névrose est d’abord une question, « une question que l’être pose pour le sujet », « de là où il était avant que le sujet vint au monde [3] ». Encore faut-il reconnaître d’où et pour qui le sujet pose sa question. Il n’y a d’identité que dans un lien à l’Autre. L’hystérie et l’obsession sont des choix différents, des stratégies différentes. L’hystérique est prêteuse : elle s’acoquine à un Autre affecté d’un manque, voire un Autre qui manque. S’identifiant au manque dans l’Autre, elle s’affaire à le combler, soutenant jalousement un Autre qui désire. L’obsessionnel n’est pas prêteur. Il veut un Autre constipé de pensées qui le tiennent éloigné du désir. Il s’emploie à annuler le désir de l’Autre – ce qui est une façon, certes singulière, mais une façon quand même, de le soutenir – tant du côté du partenaire que de l’Autre qu’il est lui-même comme inconscient. Comme le dit Lacan : « les identifications s’y déterminent du désir sans satisfaire la pulsion [4]. » Quant au sujet psychotique (la mante religieuse mâle?), il rencontre un Autre qui se présente plutôt sous le mode de la volonté que du désir, d’un idéal du moi qui ne passe ni par l’inconscient ni par l’Autre barré.

Qui est cet Autre à la fontaine de laquelle le névrosé s’abreuve? Celui qui est en relation avec le manque-à-être du sujet lui-même. C’est ce qu’il ignore, et chez l’Autre dont le désir est symbolisé, il ira quêter l’objet dont rend compte sa jouissance dans le symptôme.

La cure analytique pourra le conduire à se servir du symptôme de fin d’analyse comme support d’identification à la condition de s’y reconnaître, de savoir pourquoi, de savoir y faire avec, tout en gardant une sorte de distance, non plus comme quelque chose qui se met en croix devant lui, mais comme une fonction nouant corps, inconscient et jouissance.

Notes

  • [1]. Souligné par l’auteur.
  • [2]. Lacan J., Le Séminaire, livre VII, Le Transfert, Paris, Seuil, 1991, p. 280.
  • [3]. Lacan J., « L’instance de la lettre dans l’inconscient », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 520.
  • [4]. Lacan J., « Du “Trieb” de Freud », Écrits, op. cit., p. 853.

Sommaire

I Présentation des Collèges de clinique psychanalytique du Champ lacanien par Jacques Adam

  • Éditorial par Joël Grabovac

II Travaux des Collèges de clinique psychanalytique de France et des espaces cliniques associés

En ouverture
  • Qui sont-je ?, Marie-José Latour
Des identifications à l’Identification

 D’une lecture de trois identifications selon Freud, Martine Menès Identifications, Jean-Jacques Gorog Identifications primordiales et identité, Jean-Paul Montel « Attraper le désir par la queue », Bernard Lapinalie L’objet goethéen et les autres, Muriel Mosconi L’identification, impossible ?, Frédéric Pellion

Les nouages du corps
  • Avoir un corps… borroméen, Colette Soler
  • Corps et ego, Jean-Claude Coste
  • Le Nom comme corps et le corps comme Autre, Bruno Geneste
Le phallus, pivot identificatoire
  • Le phallus et l’identification sexuée, Bernard Nominé
  • « J’ai un amoureux mais lui je sais pas », Claire Duguet
  • L’Un ou l’Autre ?, Jean-Michel Arzur
Nom et signature, index d’un ineffable
  • « Je est un autre » – L’identité interrogée par la psychanalyse, Sol Aparicio
  • En quête d’identité, Patrick Barillot
  • Le nom, lien à l’identité et aux identifications, Danièle Belon
  • Identité et signature, Anne Meunier
L’exception, réponse à l’inquiétante identité de l’Autre
  • Ce serait une belle chose, Nadine Cordova Naïtali
  • Identité en question, Colette Sepel
  • L’identification, entre mélancolie et paranoïa, Jocelyne Vauthier
  • Le trait : du Réel à l’identification, Hervé Gaye-Bareyt
Désir et jouissance
  • Le désir, « ressort de l’amour », Marc Strauss
  • L’énigme, le corps, l’inconscient, David Bernard
  • Expérience de la grossesse et ses vicissitudes, Ghislaine Delahaye-Mihière
L’identité borroméenne : trajectoires
  • Identifications et identité : du tore de la névrose au nœud du dire, Michel Bousseyroux
  • Du symptôme freudien à l’identification au symptôme lacanien, Stéphanie Gilet-Le Bon
  • Le dire de l’analyse et l’identité, Pascale Leray
  • Le rapport paradoxal du sujet à ses identifications plurielles et à son identité singulière, Rosa Guitart-Pont
  • Vers L’identité, Colette Soler
  • La crise identitaire, Laurence Texier
Revendications identitaires
  • Bande de filles, Christine de Camy
  • Ravages identitaires, Paula Damas

III Sommaire des numéros antérieurs

V Renseignements pratiques sur les Collèges

de clinique psychanalytique du Champ Lacanien

VI Les auteurs de la revue