N°13 – La perversion polymorphe, l’enfant dans l’adulte

Editorial par Marc Strauss

Que la pulsion soit ce qui contraint chacun à se donner du mal est ce qu’a révélé Freud, en le relevant chez ceux qui s’en donnaient trop, les névrosés.

La pulsion est un concept de la psychanalyse, fondamental pour Lacan. En effet, elle ne se saisit nulle part dans la réalité de façon concrète et immédiate et jusqu’à l’hypothèse de l’inconscient elle était recouverte par le préjugé politique de l’instinct, qui avait remplacé celui de Dieu.

Pourquoi donc serait-il nécessaire de se donner la peine de l’éclairer, alors que nous avons pu jusqu’à présent nous en passer sans trop de dommage irréversible ?

Admettons que du point de vue l’irréversibilité, la réserve se justifie amplement : au regard de la mort, aussi absolument qu’indiscutablement telle, il est vrai que tout va bien encore. Mais si la question est posée du point de vue de la vie, la même remarque s’avère quelque peu irresponsable : le symptôme qui la gâche est bien irréversible aussi, et sa répétition infernale.

Ainsi, à se croire animé d’instinct ou de molécules, il n’est certes pas nécessaire de prendre en compte la pulsion ; mais à qui le symptôme fait entendre le mal qui le constitue, impossible d’en faire l’économie.

En effet, la psychanalyse seule dévoile la cause de l’échec de la sexualité à procurer satisfaction sans reste : la castration. Comme elle est un cul de sac pour la pensée – pour toute pensée, cela rend impossible de prendre la question du malheur du sexe de front. Ce dernier ne se laissant oublier pour personne, il reste à en dégager les ressorts, pour en permettre une réorganisation moins coûteuse, s’il est possible. Et ces ressorts sont les pulsions.

Ainsi, de la perversion polymorphe, pour laquelle aucun plaisir n’est mal, à la sexualité de l’adulte, la pulsion par son montage détermine autant les orientations sexuelles que les sublimations qui se réaliseront par le fantasme. Elle a valeur de fil rouge, où s’actualise réellement le sujet.

La perversion polymorphe de l’enfant, la pulsion donc, est aussi le fil rouge de ce volume. Certains textes, à travers les avatars de ses manifestations les plus concrètes, démontrent sa structure, d’une logique implacable mais nécessaire aussi à son déchiffrage, lui-même préalable à toute interprétation. D’autres textes mettent l’accent sur le désir en jeu dans l’interprétation même, car il n’est pas anodin de rendre compte du fait qu’y voir plus clair fasse de l’effet, le plus souvent agréable.

Au lecteur maintenant d’en faire l’expérience, de constater que la lecture de ce xiiie volume de la Revue des Collèges de Clinique Psychanalytique a bien pour lui cet effet de plaisir.

Reste à remercier tous ceux qui ont contribué à son élaboration, les Collèges, les auteurs et les correcteurs, ainsi que ses lecteurs à venir. D’eux tous dépend sa fonction : transmettre la découverte analytique.

Les différents articles de cette revue abordent ces questions prises dans les discours, les quatre, que Lacan considère comme les quatre modes possibles de lien social. Les symptômes étant tributaires de leur époque, nous rencontrerons des témoignages de la clinique soumise au discours capitaliste qui nous gouverne, et qui est une variante du discours du maître avec pour caractéristique de produire ségrégation et racisme ; ce qui n’élimine pas les autres discours par lesquels Lacan a défini les mathèmes des liens sociaux : discours de l’hystérie, discours de l’université, discours analytique, chacun écrivant une modalité de la jouissance collective.

Et Lacan d’affirmer qu’il ne fonde pas l’idée de discours sur l’ex-sistence de l’inconscient, mais c’est l’inconscient qu’il en situe de n’ex-sister que d’un discours. Ce qui pose la question de la manière dont les sujets s’inscrivent dans le discours établi et qui renvoie à la rencontre avec l’Autre et aux effets qui en résultent ; la place qui est faite au sujet en tant que parlêtre et celle qu’il accepte de prendre déterminent le rapport du sujet à l’Autre. Comment le sujet s’appareille à la jouissance ? Qu’en est-il de son désir ? Et que fait-il de ce reste de jouissance qui ne se parle pas, mais qui parle malgré lui, ces premiers signes d’humanité qui s’incrustent dans la chair, effets du réel de lalangue, hors sens, portés par le vivant, ces éléments de langage qui viennent de lalangue sont jouis en tant qu’objets, ce qui fait tomber la barrière langage-jouissance. L’aperçu de cet inconscient dans le parcours analytique a des conséquences sur la jouissance produisant un changement de jouissance.

Les élaborations présentées dans cette revue résultent de la rencontre entre enseignants et participants aux Collèges cliniques. Ils se réunissent pour une tache commune, libérer le savoir coincé dans la structure langagière « maître », chacun travaillant à partir de son manque dans le savoir pour produire plus de savoir. C’est le discours hystérique qui montre cet ordre de jouissance en écrivant le savoir à la place de la jouissance.

Sommaire

I Présentation des Collèges de clinique psychanalytique du Champ lacanien par Jacques Adam

  • Éditorial par Marc Strauss

II Travaux des Collèges de clinique psychanalytique de France et des espaces cliniques associés

La réalité sexuelle, de Freud à Lacan
  • « Faute de pouvoir en dire plus ni mieux », ou qu’est-ce que la « réalité sexuelle », Sol Aparicio
  • Les pares-angoisse de l’enfant dans la névrose infantile ou les solutions de l’enfant face à « tout évènement de réel », Stéphanie Gilet Le Bon
  • Au-delà de la perversion polymorphe, Colette Soler
De l’enfant à l’adulte
  • La colère comme condensateur de pulsions, Jean-Pierre Drapier
  • Que nous enseigne le cas du petit Hans sur le devenir de la perversion polymorphe ?, Ana Martinez W.
  • Des êtres à tendances perverses développées ?, Anne Meunier
La perversion, trait ou structure : clinique du cas
  • Un enfant perverti ?, Paula Damas
  • L’âmoralité du pervers ou la moralité de la jouissance, Éliane Pamart
  • « L’enfant généralisé », ses perversions, François Terral
La perversion, trait ou structure : des oeuvres
  • Un souffle de vie, Anne-Marie Combres
  • Un mensonge qui s’annonce, Geneviève Faleni
  • Le p’tit a Barnacle de James Joyce, Bruno Geneste
  • Du nouveau dans la père-version ?, Dominique Marin
  • La perversion polymorphe du mâle c’est son fantasme, Muriel Mosconi
L’expérience analytique
  • Perversion transitoire et Relation d’objet, Jean-Jacques Gorog
  • Le sexe de l’infans, Marie-José Latour
  • Le concept de « pulsion » : quel intérêt pour la clinique, Bernard Lapinalie
La gravité de la névrose
  • Le plus-de-névrose, Sidi Askofaré
  • Le mal en cadeau, Marc Strauss

III Sommaire des numéros antérieurs

IV Renseignements pratiques sur les Collèges

de clinique psychanalytique du Champ Lacanien

V Les auteurs de la revue