Que nous enseigne la psychanalyse à l’endroit de la demande ?
C’est qu’il y a un inconditionné de la demande, qui la distingue du besoin, et que « la demande est en son fond demande d’amour »1. Tel l’enfant qui, demandant le sein, ne demande pas seulement la satisfaction d’un besoin, mais encore demande une présence, en appelle à cet au-delà qu’est le désir de l’Autre maternel.
La demande est à distinguer du désir, « sous-produit » de la demande. Le désir est, lui, conditionné, c’est-à-dire condition absolue du rapport à l’Autre, structuré par ce lieu qu’est l’Autre du langage.
Si la demande est demande d’amour, l’articulation à ce que Lacan qualifie « d’essence de l’amour » est à frayer. L’essence de l’amour est l’amour de la faiblesse, ou amour de la castration : « l’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas, à savoir ce qui pourrait réparer cette faiblesse originelle »2.
Toute demande est alors celle d’une réparation fondamentale, première, qui est notamment demande de réparation à l’endroit de l’insurmontable de la Hilflosigkeit freudienne, c’est-à-dire devant le danger originel laissant le sujet sans recours. La demande d’amour est donc à situer comme demande de réparation devant « la détresse absolue de l’entrée dans le monde »3.
Les amours, elles, ne se témoignent que par ce don singulier qui est don de ce qu’on n’a pas : c’est le don « pour rien », au-delà de qu’on a, mais aussi au-delà de ce qui manque4.
Quel que soit le registre, réel, symbolique, ou bien imaginaire, d’où peuvent se réclamer les amours disparates, la formule de Lacan, tirée du Banquet, souligne tout de même un point nodal dans la modalité symbolique de l’échange, de par les usages du signe de la négation et du manque : « donner ce qu’on n’a pas ». C’est le don du phallus – qu’on n’a pas – à un être qui ne l’est pas5, c’est aussi, en référence à Alcibiade et Socrate, « donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »6.
En tout cas, ça demande, sans cesse. Ça réclame. Ça pétitionne, encore : ça répétitionne.
La demande demeure, « intransitive », du fait même de parler, « elle n’emporte aucun objet »7, là où seul le sujet est lui, transitif : « Par l’intermédiaire de la demande, tout le passé s’entrouvre jusqu’au fin fonds de la première enfance. Demander, le sujet n’a jamais fait que ça, il n’a pu vivre que par ça, et nous prenons la suite »8. L’analyste est celui qui « supporte la demande », non pour « frustrer le sujet, mais pour que reparaissent les signifiants où sa frustration est retenue »9.
Pour autant il n’y a pas, il n’y a jamais ab origine, de demande analytique, car elle procède toujours d’une subversion orientée : « avec de l’offre, je crée la demande » énonce Lacan quant à la position de l’analyste10. Ici, le désir de l’analyste se trouve déterminant.
De cette subversion, nous avons à tirer les fils, car une éthique s’y dégage, permettant une relecture du Wo es war, soll ich werden freudien : là où ça demande, de cette béance, le sujet en est causé.
Rossella Tritto et Alexandre Lévy
Enseignants au CCPLoire
1 Lacan J., Le séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient (1957-1958), Paris, Seuil, 1998, p. 381.
2 Lacan J., Le séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse (1969-1970), Paris, Seuil, 1991, p. 58.
3 Lacan J., Le séminaire, livre X, L’angoisse (1962-1963), Paris, Seuil, 2004, p. 162.
4 Lacan J., Le séminaire, livre IV, La relation d’objet (1956-1957), Paris, Seuil, 1994, p.140.
5 Lacan J., Le séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient (1957-1958), Paris, Seuil, 1998, p. 351.
6 Lacan J., Le séminaire, livre XII, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse (1964-1965), inédit, 17 mars 1965.
7 Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir » (1958), Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 617.
8 Idem, ibidem.
9 Idem, p. 618.
10 Idem, p. 617.