Délire, fantasme, réalité : ce thème de travail a de quoi intéresser tous les praticiens puisque nous ne sommes pas loin de retrouver chacun de ces termes comme des éléments de discernement dans toute pratique de soin.

Si le champ de chacun de ces concepts peut sembler vaste, ils peuvent aussi paraître tout à fait repérant dans une perspective de clinique différentielle.

A cela pourrait s’ajouter des distinguos à connotations psycho-sociales comme les âges de la vie (enfants, adolescents, adultes, personnes âgées), ou la catégorisation du normal et du pathologique dans le discours médical (délire, versus réalité).

Cela est-il aussi linéaire dans le champ de la psychanalyse ? Comment la psychanalyse fait-elle usage de ces concepts, et pour quelle clinique ?

Dans le champ de la psychanalyse, il va être important de spécifier l’origine, le déterminatif et le maniement de chacun de ces termes, de situer leurs rapports aux structures, à leur nouage, à la clinique.

Pour Freud, la notion de délire rebat les cartes d’une trop simple opposition entre normal et pathologique. Dans son exploration de la psychose, avec Daniel Paul Schreber (1911), il relève le travail de reconstruction du monde qui permet au sujet psychotique d’y vivre.

Cela se poursuit par une autre proposition, dans L’homme Moïse et la religion monothéiste (1939), où le délire est situé autour d’un morceau de vérité oublié. Quant à Lacan, son enseignement avec James
Joyce (1975-76) lui fait souligner que « tout le monde est fou, tout le monde délire ».

C’est dans ce contexte et avec les évolutions chronologiques de l’élaboration psychanalytique que la notion de délire pourra, à juste titre, être mise en balance avec celle de la réalité.

Mais là aussi, nous verrons que dans son célèbre texte de 1924, « La perte de la réalité dans la névrose et dans la psychose », Freud remet en question la logique binaire qui cloisonnerait les choses entre du délire et pas de réalité dans la psychose, et pas de délire et un peu de réalité dans la névrose.

Qui plus est, dans cette logique et à propos de la réalité, nous verrons qu’il n’est pas équivalent de parler de la réalité comme d’un rapport au discours (voire un discours dominant), d’un rapport à ce qui existe, ou bien encore d’un rapport à cette catégorie de Réel proposée par Lacan.

Quant au fantasme, il ne recouvre pas seulement ce jeu ou cette historiette que chaque enfant se raconte, comme l’exposait Sigmund Freud dans « Le créateur littéraire et la fantaisie » (1906), avant
que l’adulte n’en fasse justement un fantasme qu’il dissimule aux autres, et qu’il lui suffirait de réaliser, sinon d’avouer, pour s’en trouver allégé. Dans une acception plus fondamentale du fantasme, Lacan
consacrera plusieurs leçons à cette notion dans son séminaire Le désir et son interprétation (1958-59).

Il le présentera comme une construction, où le sujet n’est pas tout à fait à la même place selon la névrose, la psychose ou la perversion par laquelle il se structure, chacune d’elles usant de différents dialectes (hystérie, phobie, obsession, sadisme, voyeurisme, etc.). Par la suite, et dans une perspective encore différente, la traversée du fantasme sera amenée par Lacan comme une fin possible de l’analyse (1964).

Délire, fantasme, réalité, voici donc les trois termes dont nous tâcherons, dans les collèges de cliniques psychanalytiques pour cette saison 2023-2024, de décrypter les repères cliniques et les usages pour la psychanalyse.

Laurent Combres
Président CCPSO