par Bruno Geneste
S’il n’a pas fallu attendre la psychanalyse pour thématiser la portée de la relation thérapeutique sur l’amélioration des symptômes, c’est avec Freud, et accordé à la découverte de l’inconscient, que le transfert s’est précisément ordonné comme concept, avec son efficace propre.
Freud, en de maintes occasions, et lui consacrant presqu’entièrement sa Technique psychanalytique, a rapidement pointé le pouvoir du transfert face aux symptômes, pour peu qu’il soit manié en raison et avec le tact qui s’impose. Il vaut de relire ses « Conseils aux médecins », dont la fraîcheur oubliée nous enseigne encore aujourd’hui.
Freud a pu indiquer, et c’est un fait assez probant pour qu’il nous arrête, que le déploiement de la névrose dans le transfert obtenait à lui seul cet effet d’amenuiser la nocivité des symptômes dans la vie d’un sujet. Il nous faudra en expliquer le ressort.
Ses propos sur le caractère nécessaire du transfert, lequel requiert un temps indécidable pour sa mise en place, sont à apprécier au regard de la brûlante actualité des offres post-modernes de soin dont l’efficacité voudrait associer des settings thérapeutiques éphémères à des experts anonymes. Trahissant quelque méconnaissance sur les déterminismes de l’animal parlant, prompts à délivrer des techniques clef en main, entérinant parfois des interprétations simplificatrices, ils résorbent d’une illusion le malaise actuel qui règne dans la civilisation par fait de capitalisme ; mais ce faisant, en évitent-ils durablement les résurgences ?
Si Freud parle du transfert comme du plus puissant mécanisme au service de la cure, c’est pour aussitôt pointer que la durée des traitements lui est aussi imputable. La psychanalyse vient alors de révéler un premier impossible dans le traitement des symptômes : il lui faut, à ce traitement, une temporalité propre qui dépend plus du désir de l’analyste et du sujet qui vient faire acte de parole pour élaborer son expérience, que de procédures administrées par l’horloge. Le transfert, à inclure le psychanalyste, permet que le symptôme soit entendu comme il se doit, soit au plus près des coordonnées subjectives ; sans quoi il ne pourra en résulter quelque acte ou interprétation qui vaille dans la vie du sujet. Car telle doit être l’éthique du transfert : s’il est de l’amour, un amour véritable (eine echte Liebe) dira même Freud, c’est un amour sans éternité, voué à sa fin. Une psychanalyse n’est pas hors-temps mais elle a son temps propre. Encore, comment cet amour-là peut-il prétendre traiter le symptôme sans virer dans les impasses de la fascination et de la suggestion ? Sur cette question de l’amour, Lacan livrera plus tard ce qui constitue le chiffre du transfert : le transfert n’est pas répétition des passions infantiles comme le pensait Freud, mais un amour qui s’adresse au savoir… et pas au clinicien. À ce dernier reste la charge de questionner ce qu’il doit continuer à être pour agir conformément à son acte.
Notre abord du transfert dépend donc de la conception que l’on a de la fin d’une cure analytique. C’est là tout l’enjeu de ce que la psychanalyse, mais aussi les pratiques cliniques qui s’adossent à sa praxis, propose comme offre face aux symptômes.
Traiter de ce thème impose également d’embrasser l’ensemble du champ clinique et requiert d’examiner les remarques de Lacan à la fin de sa « Question préliminaire ». Pour qu’un traitement analytique de la psychose soit possible, et plutôt que de choisir la voie du déchiffrage propre à la thérapeutique des névroses, il s’agira de se faire une juste conception du maniement du transfert.
Outre les conséquences que ce thème emporte pour la pratique du psychanalyste, chaque participant, qu’il exerce dans les champs du social, de l’éducatif ou du thérapeutique, y trouvera le matériau lui permettant de clarifier le positionnement de son acte clinique.