N°14 – L’inconscient et le corps

Editorial par Jean-Pierre Bonjour

L’Inconscient, découverte de Sigmund Freud encore neurologue, est historiquement lié aux patientes de Charcot à la Salpêtrière. À la différence des paralysés organiques, les symptômes ne correspondaient pas à la trajectoire anatomique des nerfs moteurs. Ces conversions hystériques demeuraient résistantes aux traitements médicaux alors en usage. Le sujet dans sa chair objectait au savoir médical.

Avec Les mémoires d’un névropathe de Schreber, les phénomènes corporels témoignent de l’intensité de la thématique transsexuelle. Le concept de pulsion avancé par Freud désignera cette articulation de la psyché au corps vivant ; pulsion qui ne travaille pas que pour la vie… S’appuyant notamment sur la destruction des corps pendant la Première Guerre mondiale, il avance en 1923 dans Au-delà du principe de plaisir, le concept de pulsion de mort, que certains de ses élèves refusent. Mélanie Klein et Jacques Lacan le défendront, s’opposant ainsi à l’egopsychologie.

Avec la description du « stade du miroir [1] » Jacques Lacan appréhendera, dès 1936, la question du corps. Distinguant le registre symbolique, ordonnant l’imaginaire, il en arrive à un quadrillage du corps par le signifiant. Ainsi, la conversion hystérique est atteinte symbolique ; l’hypocondrie, lésion imaginaire ; le psychosomatique une écriture dans le réel du corps.

En s’appuyant sur la pulsion et son circuit, Lacan rend compte de la vie amoureuse et sexuelle. Or, tout n’est pas mortifié par le signifiant, il y a un reste, non spécularisable – l’angoisse signant sa présence –, l’objet a dont la pulsion fait le tour. Objet a hors-corps, produit d’une coupure devenant l’étoffe du sujet : « Ce qu’il y a sous l’habit et que nous appelons le corps, ce n’est peut-être que ce reste que j’appelle l’objet a [2] », soutient-il au début du séminaire Encore.

Dans son texte « Radiophonie » (1970), Lacan nous indique « que l’Autre, le corps du symbolique fait le corps de s’y incorporer [3] ». Cependant, le vivant ne suffit pas à faire un corps, pour qu’il le devienne il faut l’introduction du signifiant. Le langage est un corps qui donne corps : ainsi l’animal est un corps ; l’homme, lui, a un corps, et il parle avec son corps. Depuis le stade du miroir, Lacan va donner toute son importance à l’Imaginaire qui habille le corps, jusqu’au mystère du corps parlant [4].

De la qualité et des différentes modalités de nouage de l’imaginaire, du symbolique incorporé et du réel de l’organisme vivant, dépendra la façon dont un sujet se construira ou pas un corps, non sans effets de déperdition de la jouissance. Le sujet n’aura de cesse ensuite de vouloir récupérer cette jouissance perdue dans les objets pulsionnels hors-corps (comme la voix) mais aussi dans « le symptôme […] inscrit en lettres de souffrance dans la chair du sujet [5] ».

Ce recueil, le quatorzième, réunit l’ensemble des travaux des collèges, des espaces cliniques et de la Journée Nationale des Collèges Clinique du Champ Lacanien qui s’est tenue à Toulouse en mars 2014.

Remercions ici l’ensemble des auteurs, correcteurs, qui ont contribué à l’élaboration de ces textes. Puisse le lecteur y trouver motière à nourrir sa réflexion, et saisir en quoi la psychanalyse y intervient en tentant d’explorer, à partir de la clinique, comment au XXIe siècle les hommes et les femmes font semblant dans leur identité sexuelle, nouveaux symptômes à cerner, qui dans leur essence restent symptômes de corps.

Notes

  • 1. Lacan J., « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 93.
  • 2. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 12.
  • 3. Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 409.
  • 4. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, id., p. 118.
  • 5. Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, id., p. 306.

Sommaire

I Présentation des Collèges de clinique psychanalytique du Champ lacanien par Jacques Adam

  • Éditorial par Jean-Pierre Bonjour

II Travaux des Collèges de clinique psychanalytique de France et des espaces cliniques associés

Le corps parlant
  • L’Inconscient et le corps dans la schizophrénie et l’hystérie, Michel Bousseyroux
  • Hypocondrie, quand tu nous tiens !, Colette Sepel
  • Le corps parlant, ou la réduction de l’âme, Sol Aparicio
  • Variations sur un binaire : corps et langage ou corps et inconscient-langage, Stéphanie Gilet-Le Bon
  • Inconscient ◊ corps, Jean-Jacques Gorog
Les nouages du corps
  • Avoir un corps… borroméen, Colette Soler
  • Corps et ego, Jean-Claude Coste
  • Le Nom comme corps et le corps comme Autre, Bruno Geneste
Corps et discours
  • « C’est avec nos propres membres que nous faisons l’alphabet du discours inconscient », Bernard Nominé
  • Les corps attrapés par le discours, Bernard Lapinalie
  • Cet objet a fatidique, Carmen Gallano
L’objet, la pulsion
  • Une nudité jamais assez nue ?, Anne Meunier
  • Le corps, l’inconscient et la voix, Luis Izcovich
Le corps et la langue
  • Comment « faire accord » entre le langage et le corps ?, Patricia Dahan
  • Poésie du corps, physique de l’inconscient, Marie-José Latour
Désir et jouissance
  • Le désir, « ressort de l’amour », Marc Strauss
  • L’énigme, le corps, l’inconscient, David Bernard
  • Expérience de la grossesse et ses vicissitudes, Ghislaine Delahaye-Mihière
Clinique du corps morcelé
  • Tout le monde a-t-il un corps ?, Marie Maurincomme
  • Gigi, Jean-Pierre Drapier
  • Le corps ou les mots, Jean-Michel Arzur
  • De la magie au hip-hop : quel regard ?, Jocelyne Vauthier

III J. Lacan, Le séminaire Encore : Introduction à la lecture

  • Le corps, substance jouissante et sexuée
  • Une lecture des premières séances d’Encore, Muriel Mosconi

IV Sommaire des numéros antérieurs

V Renseignements pratiques sur les Collèges

de clinique psychanalytique du Champ Lacanien

VI Les auteurs de la revue