n°7 – Trauma et Fantasme

Éditorial par Colette Chouraqui-Sepel

Trauma et fantasme sont deux concepts psychanalytiques majeurs, fondateurs. Mais leur succès public et leur passage au discours courant les ont fort malencontreusement dénaturés. Un des slogans libertaires de mai 68, inspiré librement de Wilhelm Reich, ne nous invitait-il pas à vivre nos fantasmes ? Nombreux sont ceux qui, depuis, se sont mis en tête de les réaliser pleinement, et tout aussi nombreux ceux qui viennent se plaindre à nous, psychanalystes, de ne pouvoir atteindre cet idéal de sujet moderne accompli. Heureusement, aurions-nous envie de leur dire ! Quant au « trauma », effacé derrière le « traumatisme », il est devenu synonyme d’événement objectivement dommageable, censé affecter tout un chacun pareillement et relever d’un traitement psychologique d’urgence. Il est donc temps de rappeler que la psychanalyse est une affaire privée qui, supposant et impliquant le voile de l’inconscient, s’intéresse à la mise au jour d’une vérité subjective, et de vérifier la pertinence de ces deux concepts dans l’actualité de notre pratique.

Vous aurez remarqué que nous les avons reliés d’un et, et non pas d’un ou. Freud n’a en effet jamais, comme on le dit souvent de façon hâtive et erronée, abandonné le trauma pour le fantasme. S’il a d’abord déplacé l’accent du trauma au fantasme œdipien, de la séduction réelle à la séduction imaginée pour rendre compte de l’origine des psychonévroses, il n’a pas abandonné l’idée du trauma originel et c’est à lui qu’il revient encore dans son ouvrage ultime, L’Homme Moïse et la religion monothéiste [1]. Le trauma est d’origine, il peut se réduire à la transgression des deux interdits fondamentaux de l’inceste et du parricide, il est toujours sexuel puisque libidinal, il ne se déduit qu’après coup et relève, comme la cure analytique, d’une logique rétroactive. Que le trauma soit d’origine, voilà ce dont Ferenczi et Rank [2] se sont saisi, mais confondant roman, mythe et réalité, ils le tiennent tous deux pour une nécessité non pas logique mais réelle, au sens du « pour de vrai »de la réalité objective.

Le trauma freudien de la deuxième topique n’est pas celui de la première. Pas plus que le fantasme qui, dans sa deuxième version, n’est plus seulement imaginé, imaginaire, banalement œdipien, mais aussi et surtout langagier. C’est un énoncé du type : « On bat un enfant ». C’est sur cet aspect langagier que Lacan insiste. Et poursuivant avec Freud et au-delà de Freud, il situe le trauma originel dans le langage. Au commencement est le langage avec ses dits et ses inter-dits, comme il se plaît à l’écrire, où vient justement se loger le trauma originel, entre les dits, dans l’espace blanc, dans le trou. Trou dont Lacan ne s’est pas privé de décliner les différentes occurrences : trous du corps dont s’origine la pulsion, trou laissé par l’objet toujours déjà perdu, trou dans le réel, béance de la jouissance. « Troumatisme »qui oblige chacun à inventer quelque chose de singulier pour le masquer, pour s’en déprendre. Cette invention est un montage signifiant ; on l’appellera fantasme dans les cas de névrose où le sujet désirant divisé par la castration doit s’appareiller d’un objet pour s’assurer d’une certaine stabilité, mais au prix d’un symptôme ; on l’appellera métaphore délirante dans les cas de psychose déclenchée.

Pour le fantasme, Lacan en propose aussi « La logique… » [3], précise qu’il est pour lui la voie d’entrée dans ce qu’il appelle le réel, et que dans sa forme fondamentale, il se construit tout au long de la cure.

Trauma, fantasme, symptôme et acte analytiques, telle est la chaîne conceptuelle à laquelle le thème de notre année nous convie, tel est le fil que chacun des auteurs des textes que vous pourrez lire dans ce numéro a déroulé à sa façon [4].

  • [1] Freud S., (1939), L’Homme Moïse et la religion monothéiste, Paris, Gallimard, 1986
  • [2] Les enseignants du Collège clinique de Paris ont étudié l’histoire des concepts de trauma et de fantasme chez les post- freudiens lors d’un séminaire intitulé « Les clés du symptôme » publié dans Les Cahiers du Collège clinique de Paris n°8, disponibles auprès du secrétariat du CCP.
  • [3] Lacan J., Le Séminaire « La logique du fantasme », 1966-1967, inédit.
  • [4] Plusieurs d’entre eux font référence au ‘graphe du désir’ et aux ‘discours’ lacaniens que vous trouverez en annexes, pp. 222-223

Sommaire

I Présentation des Collèges cliniques par J. Adam

  • Éditorial par C. Chouraqui-Sepel

II Travaux des Collèges cliniques de France et des espaces cliniques associés

Découvertes freudiennes
  • Du trauma au fantasme, l’analyse originelle, par J.-J. Gorog
  • « On est prié de fermer les yeux » ou le surmoi, passeur de trauma, par M. Menès
  • Guerre et trauma, par S. Gilet-Le Bon
  • Fantaisie freudienne, par C. Chouraqui-Sepel
  • Du trauma sexuel au fantasme masochiste, par J. Adam
Abord logique
  • Le fantasme : un axiome logique, par M.V. Bittencourt
  • Le fantasme à la pointe de la psychanalyse, par N. Guérin
  • La scène du traumatisme et l’Autre scène du fantasme, par B. Nominé
  • Trauma ou fantasme ?, par S. Askofaré
Études
  • Mythes et fantasme, par D. Bernard
  • Le passeport du fantasme, par M. Bousseyroux
Articulations cliniques
  • Une jeune fille très freudienne, par B. d’Yvoire
  • Un cas d’exhibitionnisme, par M.-T. Gournel
  • Le traumatisme, c’est quand un fantasme devient réalité, par J.-P. Drapier
  • L’épreuve du transfert, par H. de Saint-Affrique
  • Fantasme et psychose, à l’épreuve de la clinique, par B. Lapinalie
  • Ça n’empêche pas d’exister, par J.-C. Coste
Temporalité,symptôme et acte analytiques
  • La répétition, temporalité du trauma, par M. Mosconi
  • Du temps arrêté du fantasme au temps en mouvement, par L. Mazza-Poutet
  • Le réel : du trauma au fantasme, par L. Izcovich
  • Trauma et symptôme, par C. Demoulin
La langue
  • Lalangue, traumatique, par C. Soler
  • Blessures de langue, par M.-J. Latour
  • Inoubliable trauma, par M. Strauss

III Annexes

IV Sommaires des numéros antérieurs

V Renseignements pratiques sur les Collèges cliniques du Champ lacanien

VI Les auteurs