N°23 – « Clinique du désir »

Éditorial par Véronique Maufaugerat

« Clinique du désir » est le thème à partir duquel les Collèges de clinique psychanalytique se sont mis au travail pour cette année 2022-2023. Clinique du désir, comme une réponse à la question que nous posions l’an passé « Qu’est-ce qu’une clinique psychanalytique ? » ; tant il est apparu au fil du travail qu’aborder le désir, non seulement implique notre pratique clinique, mais également de revenir à la doctrine psychanalytique et à sa progressive élaboration.

Démarrons avec Freud, et précisément sa Traumdeutung puisque c’est là que s’origine, dans la doctrine psychanalytique, le désir. « Il faut lire la Traumdeutung pour savoir ce que veut dire ce que Freud y appelle le désir[1] » nous dit Lacan dans la Direction de la cure, dans un chapitre intitulé  » Il faut prendre le désir à la lettre ». Le rêve, voie royale vers l’inconscient et particulièrement celui d’Emmy Von N., va mettre Freud sur la voie du désir comme cause du symptôme : le rêve devient formation de l’inconscient et l’expression d’un désir refoulé. Cette articulation du désir à l’inconscient nous est rappelée par Sol Aparicio qui revenant à Freud et au rêve, souligne la distinction entre le désir inconscient qui s’écrit au singulier et les vœux et souhaits que les rêves peuvent exprimer. Pour Michel Bousseyroux et Bernard Lapinalie, c’est le rêve de la belle bouchère qui a retenu leur attention pour en développer la lecture lacanienne et montrer en quoi le désir articulé au manque a permis à Lacan de construire la structure hystérique et particulièrement le discours de l’hystérique. Si Colette Soler aborde aussi le rêve, c’est pour critiquer ce qu’on appelle les « rêves de passe » dans ce qu’ils auraient d’expression d’un désir de passe.

Un furet ce désir, quand on le prend au singulier. Pour l’attraper comme concept ou notion, il faut se mettre au travail de lecture des textes et différents développements qu’en ont fait Freud et Lacan sur les décennies de leur enseignement. Jean-Jacques Gorog a choisi de prendre appui sur les différentes occurrences du mot « désir » chez Lacan pour contextualiser et déplier celles-ci. D’autres, comme Rosa Guitart-Pont, et Annie Staricky passent par un panorama de l’enseignement de Lacan pour rendre compte de l’évolution de la clinique : il s’agit de définir la clinique borroméenne en regard de celle du désir (R. Guitart-Pont) ou d’aborder la « torsion » du désir dont Lacan fait en 1965 dans Les problèmes cruciaux, une « clé pour la topologie du désir »[2] (A. Staricky). C’est à une lecture de Freud que s’est consacré Jean-Pierre Montel pour articuler le désir à l’angoisse et à l’inhibition.

Parmi tous les discours qui promettent des lendemains qui chantent, la clinique du désir dans notre champ se spécifie de ne pas consister à faire disparaître, ni à soustraire  – le symptôme ou toute autre manifestation dont se plaint le sujet -, mais bien plutôt à « prendre soin du désir » nous dit Laurent Combres. En effet, comme nous le rappelle Marie-Josée Latour à l’appui de sa clinique avec les petits sujets, la soustraction est d’abord ce qu’opère le langage, faisant naître le sujet au désir. Et Nadine Cordova de nous montrer comment l’infans accède à son propre désir, et comment au fil de l’analyse, le sujet pourra se mettre en quête d’une vérité sur celui-ci. Cette option clinique suppose de suivre Lacan dans ce qu’il a articulé le désir comme manque. « Le désir s’ébauche dans la marge où la demande se déchire du besoin [3] » : d’abord le cri puis l’appel, dont la réponse institue la demande.  Elodie Blouin se propose de reprendre ce moment de l’élaboration lacanienne où se déplient les modes de manque comme autant de repères dans sa clinique. Un autre temps-clé des élaborations lacaniennes est de faire de l’objet a, la « cause » du désir : « nous appelons la chute de cet objet (…) comme la cause du désir où le sujet s’éclipse[4] ». Désir, langage, objet et jouissance insistent, puisque comme le soutient Pierre Perez, « c’est la jouissance qui oriente le désir et non l’inverse ».

Si nous avons fait le choix d’un chapitre Clinique du désir, c’est parce que nombreux sont les textes qui de tenter de saisir ce qu’est le désir, en passent par la clinique, qu’elle soit de la littérature psychanalytique : Sophie Pinot et la petite Piggle de Winnicott pour traiter ce qui fait trauma dans le désir de l’Autre – le fameux Che Vuoi ? du graphe ; ou de leurs propres rencontres avec un sujet (Mathieu Braun, Emmanuel Caraës). Nous voyons, avec ces textes, combien le lien du désir à la parole d’un sujet oblige : clinique et désir, peut-on traiter l’un sans aborder l’autre ? Aussi le travail de Muriel Chemla traitant de la clinique avec des sujets psychotiques trouve-t-il ici sa place. 

Entre-champs, pour ceux qui se sont risqués à sortir de celui proprement psychanalytique : Pascal Padovani porte à notre connaissance Les Murray en explorant son parcours et son œuvre et, supposant la mélancolie de ce poète australien,  traite en filigrane le désir dans cette forme de psychose. Jean-Michel Valtat a choisi le cinéma, et plus particulièrement celui de Röhmer pour traiter du désir, non sans lien avec la philosophie de Pascal et Kierkegaard. Nous aurions pu ajouter le texte de Brigitte Hatat qui emprunte à la littérature pour déplier cette belle et énigmatique phrase de Lacan dans Encore : « l’amour est l’ignorance du désir[5] ». Ce texte, dans la suite de celui de JM Valtat, traite du désir et de l’amour et introduit la question de l’éthique dans notre clinique psychanalytique que déplie plus précisément François Terral. Lacan a consacré une année de son Séminaire à définir l’éthique de la psychanalyse et a mis celle-ci en lien avec le désir : on retient comme une formule « ne pas céder sur son désir ». F. Terral fait une lecture des derniers chapitres de ce Séminaire pour montrer comment le désir, tant du côté de l’analysant que de celui de l’analyste, décide de l’engagement qui fera tout le procès de la cure.  Dans la même logique, Dominique Touchon-Fingermann rappelle qu’il ne s’agit pas de faire de la psychanalyse une religion du désir (Lacan 1975) mais bien de prendre appui sur le désir et ses paradoxes au cœur de l’expérience psychanalytique, pour le « connecter au dire » et questionner ainsi le rapport du désir au réel. Est-ce la voie d’une éthique du bien dire ?

Comme en réponse à cette question viennent les derniers textes de ce numéro consacrés au désir de l’analyste : Muriel Mosconi s’attache à montrer en quoi c’est le désir du mathématicien en tant qu’il est orienté par le réel qui a servi à Lacan pour penser le désir de l’analyste. Philippe Madet déplie lui la nécessaire fonction du désir de l’analyste pour interroger la place de la jouissance de ce dernier. Quant à Jean-François Zamora, il se propose de « rafraîchir » le désir de l’analyste à partir du cas de l’homme aux cervelles fraîches, non sans avoir rappelé le contexte historique et politique du moment d’émergence de cette notion.  Un réveil avant de refermer ce numéro.

Vous souhaitant une bonne lecture.


[1] LACAN J., « La Direction de la cure », Ecrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 620

[2] LACAN J., Le Séminaire, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse, leçon du 3 février 1965, édition Michel Roussan, p. 115.

[3] LACAN J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Écrits, p. 814

[4] LACAN J., « Ouverture », Écrits, p. 10

[5] LACAN J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, p.11

Sommaire

I. Présentation – Éditorial

  • Présentation des Collèges de clinique psychanalytique du Champ lacanien, Jacques Adam
  • Éditorial, Véronique Maufaugerat

II. Travaux des Collèges de cliniques psychanalytique – France

Avec le rêve
  • Sol Aparicio  : Du désir et des vœux
  • Michel Bousseyroux : Comment Lacan clinique le rêve
    de la spirituelle bouchère
  • Bernard Lapinalie : Le rêve de la bouchère : du désir au discours
  • Colette Soler : Rêves… de passe
Le désir, un concept ?
  • Jean-Paul Montel : Le désir cause d’inhibitions
  • Jean-Jacques Gorog : Le mot « désir » et ses diverses occurrences
  • Rosa Guitart-Pont : Évolution de la clinique chez Lacan
  • Annie Staricky : La topologie du désir
Une particularité du parlant
  • Elodie Blouin : Frustration, privation, castration,
    Trois modes de manque, un désir
  • Nadine Cordova : Effets de chute
  • Laurent Combres : Langage et désir au XXIe siècle
  • Marie-José Latour : Du résultat de la soustraction
  • Pierre Perez : Vers la pulsion
Le désir au fil de la clinique
  • Matthieu Braun : Une clinique au fil des cailloux
  • Muriel Chemla : Le traitement des psychoses
  • Emmanuel Caraës : « Désir encore en morceaux »
  • Sophie Pinot : Le désir de l’Autre
Entre-champs
  • Pascal Padovani : Le chien noir de la mélancolie – Les Murray
  • Jean-Michel Valtat : Le Pari de Rohmer
Désir et éthique
  • Brigitte Hatat : L’amour, ignorance du désir
  • François Terral : Clinique psychanalytique : problématique éthique
  • Dominique Touchon-Fingermann : De la clinique du désir
    à l’éthique du (bien) dire
Le désir de l’analyste
  • Philippe Madet : Le désir de l’analyste, sans amour ?
  • Muriel Mosconi : Mordus du réel ?
  • Jean-François Zamora : Rafraîchir le désir

III. Les auteurs de la revue

IV. Renseignements pratiques sur les Collèges de clinique psychanalytique du Champ lacanien

V. Sommaires des numéros antérieurs

La journée nationale des collèges aura lieu le 22 mars 2025 à Aix-En-Provence. Plus d'informations
Ici
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